Hautes-Alpes : Raphaël Balland, Procureur de la République, invité de D!CIDEUR

Une augmentation de 9% des procédures entre 2013 et 2014. Autant dire que les trois magistrats du Parquet des Hautes-Alpes ont fort à faire. C'est le cas de Raphaël Balland, le Procureur de la République, qui était notre invité, mais aussi des deux substituts qui travaillent à ses cotés.

Raphaël Balland est revenu d'abord sur la série noire d'avalanches et les onze décès constatés dans le seul département des Hautes-Alpes depuis le début de l'année. Le Procureur a rappelé que la justice n'hésitera pas à mettre tous ceux qui avaient pris des risques inconsidérés devant leur responsabilité pénale.

Dans un autre registre, Raphaël Balland a évoqué également la hausse constatée des cambriolages (+34%) en invitant les habitants à abandonner leurs habitudes et à prendre soin de fermer leur véhicule ou leur domicile.

Il a également souligné l'attitude très courageuse et citoyenne de plusieurs personnes, dont ce Gapençais qui est intervenu il y a peu lors de l'agression du patron du Beausoleil à Gap et qui a permis l'arrestation des malfaiteurs. Même chose pour le voisin de cette vieille dame de Trescléoux qui a réussi à mettre en fuite les cambrioleurs. Il faut selon le Procureur, bien-sûr, porter secours, mais ne pas prendre de risques démesurés.

Sur le sujet de l'alcool au volant, le Procureur a rappelé sa fermeté et invité, comme son prédécesseur et le préfet, les organisateurs de festivités mais également les particuliers à avoir conscience qu'ils sont pénalement responsables si des délits ou des accidents liés à l'alcool surviennent après une consommation dans leur établissement ou à leur domicile.

LE DISCOURS DU PROCUREURLORS DE LA  RENTREE DU  TGI  LE 23 JANVIER 2015

Monsieur le Préfet,
Monsieur le Premier président et Monsieur le Procureur général près la Cour d'appel de Grenoble,
Madame la Députée et Madame la Sénatrice des Hautes Alpes,
Monsieur le Président du Conseil général,
Monsieur le Maire de Gap,
Mesdames et Messieurs les élus, 
Mesdames et Messieurs les représentants des autorités judiciaires, civiles, militaires et religieuses du département,
Monsieur le Dauphin représentant Madame le bâtonnier du barreau des Hautes Alpes,
Mesdames et Messieurs les représentants des notaires, huissiers de Justice, médecins et experts,
Chers collègues,
Mesdames et messieurs,

Votre présence honore notre juridiction et, selon la formule consacrée, démontre l'intérêt que vous portez à l'institution judiciaire.

Je remercie tous ceux qui m'ont adressés leurs vœux et je souhaite à mon tour, à chacun, une belle, prospère et paisible année 2015.

Avant de vous rendre compte de l'activité pénale de notre tribunal, je souhaite rendre hommage à la mémoire de Jean Yves DUSSERE qui était présent à chacune de nos cérémonies de rentrée ou d'installation. Sa disparition brutale nous a tous choqué. Il était un partenaire important pour notre juridiction, notamment en matière de protection des mineurs en danger.
Mais comme la vie des institutions s'arrête rarement avec celle des hommes, je remercie de leur présence les personnes qui lui ont succédé : la nouvelle Sénatrice des Hautes Alpes et le tout nouveau Président du Conseil général. Je vous souhaite une parfaite réussite dans vos fonctions au service de nos concitoyens.

Monsieur le Préfet, je tenais à vous remercier également pour votre présence fidèle à ces audiences. Les règles de mobilité applicables à votre fonction me font craindre que ce soit le dernier discours que vous aurez à subir de ma part. Je tiens donc à dire publiquement à quel point j'apprécie de travailler avec vous et vos services depuis presque 18 mois. Vous êtes et resterez, comme l'on dit parfois, « mon premier préfet » en tant que Procureur. Je n'ai qu'un souhait : que votre successeur soit aussi respectueux que vous des attributions du parquet, pragmatique, soucieux de l'intérêt général, et que notre collaboration soit aussi agréable et fructueuse qu'elle l'a été jusqu'à présent.

Je ne ferai pas ici un exposé précis de la situation de la délinquance sur le département car le ministre de l'intérieur doit rendre public les statistiques en la matière dans quelques jours.

Je me contenterai d'indiquer que les services de police et de gendarmerie ont pris au total 295 mesures de garde à vue en 2014, ce qui représente une forte augmentation par rapport aux 206 gardes à vue en 2013, soit 43 %.
Cette augmentation s'expliquent selon moi par trois différents facteurs :
un facteur conjoncturel puisque depuis mon arrivée j'ai redonné aux OPJ leur pouvoir d'appréciation pour placer un suspect en garde à vue, conformément au code de procédure pénale ;
un facteur juridique national qui tient à l'évolution de la jurisprudence sur la notion de contrainte, notamment à l'égard des mineurs.
un facteur local qui tient à l'augmentation globale de la délinquance sur le département avec notamment un développement d'une délinquance itinérante nécessitant de prendre des mesures de contrainte à l'égard des suspects sans garantie de représentation ;

Cette délinquance itinérante est sans doute la principale explication de la très forte augmentation des cambriolages sur le département en 2014 qui est d'environ 34 %.

La lutte contre les cambriolages sera donc évidemment une priorité de ma politique pénale en 2015, car ces faits portent non seulement atteintes aux biens des victimes mais aussi à leur intimité avec parfois des conséquences psychologiques.

Au delà de l'action des policiers et des gendarmes, j'appelle les habitants de ce département à davantage de vigilance en la matière.
Pour lutter contre les cambriolages, ma politique pénale empreinte de fermeté se poursuivra en 2015, notamment en ayant recours aux comparutions immédiates. Nous serons évidemment encore plus fermes à l'encontre des personnes qui auraient recours à la violence. Plusieurs décisions récentes du tribunal correctionnel démontrent que les auteurs de tels faits doivent s'attendre à passer de longs mois, voire des années en prison s'ils sont interpellés.

En février 2014, grâce à l'accueil du 4ème régiment de cavalerie dont je remercie à nouveau le chef, j'ai organisé une réunion avec tous les officiers de police judiciaire du département afin de donner mes instructions générales sur l'application des nouveaux textes ou sur ma politique pénale. Je leur ai également adressé en ce sens 14 notes d'action publique au cours de l'année.
La lutte contre les violences conjugales s'est concrétisée notamment par la signature d'un protocole le 02 juillet dernier avec monsieur le Préfet, la police et la gendarmerie nationales, MEDIAVIC et le CIDFF afin qu'une enquête soit systématiquement ouverte en la matière, même en l'absence de plainte, et qu'un suivi de la victime soit assuré. Cette politique volontariste pourrait expliquer partiellement l'augmentation statistique en 2014 des violences intrafamiliales, mais au diable les statistiques en la matière : ce qui compte, c'est de venir en aide aux plus faibles, au plus vulnérables.
J'ai également participé à trois réunions avec les médecins pour les sensibiliser particulièrement sur ce type de violences et sur la rédaction des certificats médicaux.
La lutte contre les trafics et les usages de stupéfiants s'est maintenue. Dans ce ressort, la dépénalisation n'est pas à l'ordre du jour. Tous les usagers de cannabis interpellés, a fortiori de cocaïne ou d'ectasie,  font a minima l'objet d'un rappel à la loi  devant le délégué du procureur, ou d'un stage payant de sensibilisation voire de poursuites pénales en cas de récidive, essentiellement sous forme d'ordonnance pénale.
J'en profite pour saluer le travail considérable accompli en matière de police judiciaire par les forces de police et de gendarmerie, mobilisées de jour comme de nuit, sous la direction et le contrôle des trois magistrats du parquet.

Je salue également le professionnalisme des unités de secours en montagne, le PGHM et la CRS-Alpes de Briançon, cette dernière ayant fait en 2014 ses premiers pas, sans difficulté, dans la conduite d'investigations de police judiciaire lors des accidents en montagne.
La récente avalanche tragique de CEILLAC a démontré, je crois, que l'autorité judiciaire avait toute sa place dans la gestion de ce type d'évènements.

Par ailleurs, avec encore 8 morts sur nos routes en 2014 au lieu de 12 en 2013, la sécurité routière restera également une priorité de mon parquet.
En ce sens je tiens à remercier l'association Prévention routière des Hautes Alpes qui a accepté à ma demande de procéder depuis le mois de novembre à des présentations pédagogiques avant chaque audience correctionnelle consacrée aux délits routiers et chaque audiences de notification des ordonnances pénales.
*    *  

Pour ce qui est du bilan de l'activité pénale du tribunal de grande instance et du tribunal de police en 2014, je vous renvoie à la plaquette que nous avons confectionnée à votre attention. Elle vous indique les données essentielles de notre activité.

Globalement, vous constaterez en page 3 une augmentation substantielle de la charge de travail pour toute la chaine judiciaire pénale et pour le parquet en particulier. En effet :

Le nombre de procédures pénales reçues par le parquet a connu une augmentation sensible (+ 4,2%) pour atteindre un chiffre de 9 247, alors que les années précédentes étaient très stables. Parallèlement, le nombre de  dessaisissements au profit de parquets extérieurs a baissé de 4 %.

Le nombre d'affaires poursuivables a augmenté de 9% cette année, soit 2937 dossiers, soit près de 1000 dossiers par magistrat du parquet.

Alors même que le taux de réponse pénale est resté le même et à un très haut niveau (98%).

Je tiens à préciser qu'il s'agit de véritables réponses pénales, puisque mon parquet n'ordonne quasiment jamais de rappels à la loi par officiers de police judiciaire.

Ces réponses sont évidemment graduées en fonction de la gravité des faits et de la personnalité de leur auteur et se décomposent de la manière suivante :
25 % de poursuites devant le tribunal correctionnel (637 COPJ, CI, CPPV et CD) et le tribunal de police (76 COPJ et CD) ;
34 % de poursuites sous forme de procédures simplifiées : OP et CRPC (976) ;
40,5 % d'alternatives aux poursuites ;
0,5 % d'ouvertures d'une instruction (14).

La plus grande partie des alternatives aux poursuites qui sont également en hausse  est confiée aux trois délégués du procureur, Messieurs DUFETEL, JOUBERT et CONTAT que je remercie à nouveau pour leur loyauté et leur travail rigoureux effectué au Point d'accès au droit à Gap et à la Maison de Justice et du droit à Briançon. 

S'agissant de la délinquance des mineurs, elle a connu une augmentation de 16% du  nombre de mineurs mis en cause, passant de 325 à 377. Il faut relativiser ce mauvais chiffre car le nombre de faits commis par des mineurs et leur gravité restent faibles par rapport aux moyennes nationales.

Toutefois, cela démontre, comme pour les cambriolages, que notre département est moins épargné qu'il ne l'était auparavant, ce qui devrait tous nous inciter à la vigilance. L'une des satisfactions d'exercer nos fonctions dans ce département, c'est qu'on a encore la possibilité d'agir de manière efficace et visible contre la délinquance pour la maintenir à un faible niveau.
Je suis pour ma part allergique à tout discours fataliste qui me paraisse sans fondement sur ce ressort. Alors, poursuivons nos efforts quotidiens en ce sens.

Tel a été le cas du juge des enfants et du tribunal pour enfants qui ont rendu davantage de jugements au pénal en 2014 (90 au lieu de 81, p.5). Le nombre d'ouvertures de dossiers d'assistance éducative est également en augmentation (passant de 94 à 100).

J'en profite pour rendre hommage à notre collègue, Mme Laurence RAISON, qui a exercé les fonctions de juge des enfants avec un investissement et une efficacité remarquables et qui s'apprêtent à rejoindre dans un mois le tribunal de grande instance de Toulon. Nous lui souhaitons le meilleur pour cette nouvelle aventure professionnelle et la remercions très sincèrement pour les excellentes relations qu'elle a su entretenir avec le parquet, dans l'intérêt des mineurs et de leur famille.

Gageons que la qualité de ces relations se poursuivront avec Mme Marie-Pierre LOUIS, dont je salue très chaleureusement le retour en sa qualité de juge des enfants après deux années d'absence.

A noter qu'en 2014, 33 stages de citoyenneté ont été confiés à la protection judiciaire de la jeunesse, parmi ses nombreuses autres missions.

Par ailleurs, vous trouverez en page 6, les principaux éléments chiffrés de l'activité du service de l'application des peines qui continue globalement d'augmenter.

Le service de l'exécution des peines du parquet travail à flux tendu et la maison d'arrêt de Gap déborde au point que nous envoyons nos détenus à Aix ou Marseille. (encore un cet après midi)

Parallèlement  je crois pouvoir dire que dans ce département, nous obtenons de bons résultats s'agissant de la réinsertion des personnes condamnées, sans doute parce que nous travaillons tous dans des structures à dimension humaine et grâce à un partenariat très resserré, entre notamment la juge de l'application des peines, le parquet, le service pénitentiaire de probation et d'insertion (SPIP) et  la maison d'arrêt.

Quelques mots sur l'activité du cabinet d'instruction (p.5) : le nombre de saisines est stable et sont souvent le fait de parties civiles mécontentes d'un classement sans suite du parquet. Les instructions sont menées avec une grande diligence.

Il faut y ajouter la quinzaine de dossiers criminels en cours d'instruction au pôle de Grenoble et les quatre personnes condamnées par la Cour d'assises des Hautes Alpes en 2014.

Autre point important : par une loi toute récente du 29 décembre 2014, le Parlement a décidé de reporter encore la suppression des infra pôles de l'instruction. Le tribunal de GAP pourra donc ainsi bénéficier de la présence d'un juge d'instruction au moins jusqu'en janvier 2017.
Je rappelle que cette loi dont l'entrée en vigueur ne cesse d'être reportée date du 05 mars 2007. Je n'ai pas en mémoire une situation comparable. N'est ce pas là la meilleure démonstration de l'inutilité de cette réforme, comme je le soutenais déjà l'an dernier ?

 

Je ne peux m'empêcher, mesdames les Parlementaires, de me reporter à la plume exceptionnelle de PORTALIS qui écrivait dans le discours préliminaire sur le projet du code civil : “ Il faut laisser le bien, si on est en doute du mieux ; qu’au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer ; (...) Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ; elles compromettraient la certitude et la majesté de la législation. »

Un dernier chiffre concernant l'activité pénale du tribunal et qui est une source d'inquiétude pour moi : il s'agit de la forte augmentation du nombre de renvois des dossiers d'une audience correctionnelle à une autre qui ont plus que doublé en 2014, et dont une grande partie s'explique par les grèves successives des avocats, particulièrement celle du 4 décembre sur laquelle je reviendrai dans un instant.

Par ailleurs, je remercie l'association d'aide aux victimes MEDIAVIC 05 qui continue à rendre d'irremplaçables et nombreux services, et dont la directrice fait preuve d'une disponibilité exemplaire. Il est donc indispensable que les différents partenaires continuent en 2015 à apporter leur soutien financier à cette association.

*  *  *
S'agissant des moyens affectés aux parquets français : la situation s'est elle améliorée ? Je pense qu'elle a empiré puisque nos missions et contraintes ont continué à augmenter sans moyens humains complémentaires. Les motions lues partout en France l'an dernier annonçant une « asphyxie programmée des parquets » ont incité Madame le Garde des Sceaux à annoncer un grand plan pour le Ministère public.

Nous en attendons encore les résultats concrets. Pour le moment, ce plan s'est traduit uniquement par la dotation d'un téléphone sécurisé pour chaque parquet, mais qui est défectueux ; et par une augmentation des indemnisations en cas de déplacement la nuit ou les week end, mais qui est plafonnée et donc quasiment sans effet pour des petits parquets comme le nôtre où chaque magistrat doit assurer la permanence au cours de plus de 120 nuits et une quarantaine de jours non ouvrables par an, sans aucune récupération.

Entendons nous bien, je ne pleure pas sur notre sort car nous exerçons sans doute l'un des métiers les plus passionnants au service de nos concitoyens. Mais ce qui manque aux parquets pour remplir correctement leurs missions, ce sont des magistrats, des assistants et des fonctionnaires.

Dans son rapport d'octobre dernier, la Commission européenne pour l'efficacité de la justice a comparé les systèmes judiciaires des 45 pays membres du Conseil de l'Europe. Elle a constaté qu'en moyenne ces pays étaient dotés de 11,8 magistrats du parquet pour 100.000 habitants. En France, nous sommes en moyenne 2,9 magistrats du parquet pour 100.000 habitants, contre 6 en Allemagne et 7 en Belgique qui ont des systèmes judiciaires comparables.
On pourrait alors imaginer qu'il y a en France peut être davantage de fonctionnaires judiciaires pour compenser ce manque de magistrats. Mais là encore, la situation est critique puisque la France ne compte que 33,2 fonctionnaires judiciaires pour 100.000 habitants, alors que la médiane pour les pays du Conseil de l'Europe est de 53,8 ...

Les postes prévus ne sont même pas totalement pourvus puisque selon la Conférence des procureurs il manque dans les parquets entre 8 et 10% des effectifs théoriques.
De fait, il n'y avait aucun candidat pour remplacer le départ de l'ancienne substitut, Emmanuelle PORELLI, qui a rejoint le parquet d'Aix en Provence en septembre dernier.

Mais là encore, je ne me plains pas, car en décidant de déléguer Madame Inès DELAY au parquet de Gap, Monsieur le Procureur général nous a permis de continuer à fonctionner et je le remercie. Sans cette aide particulièrement précieuse, ce ne serait véritablement pas possible.

Disons le clairement : je suis un procureur gâté d'avoir des substituts aussi efficaces, impliquées, loyales et agréables que sont Mesdames REYMOND et DELAY. Je tiens donc à leur faire part publiquement de ma gratitude pour le travail considérable qu'elles fournissent, jusqu'à très tard chaque soir et pendant une bonne partie de leurs week-end. Chères collègues, vous êtes l'honneur du parquet.

A une époque où il est de bon ton de railler les services publics, voire de s'en méfier, je souhaite rendre un hommage appuyé aux fonctionnaires et magistrats de ce tribunal pour le travail accompli tout au long de cette année 2014.  Je suis témoin au quotidien de leur dévouement et de leur conscience professionnelle. Qu'ils en soient publiquement remerciés.

Deux fonctionnaires du tribunal de grande instance ont ainsi récemment vu leurs mérites exemplaires reconnus officiellement par l'attribution de la médaille d'honneur des services judiciaires : Mme Marie Laure BLANC SYLVESTRE en juin 2014 dont j'avais déjà salué les grandes qualités en septembre dernier lors de l'audience d'installation, et Mme Frederica CHRABATZCZ le 6 janvier 2015, que je remercie pour le travail accompli avec excellence à la régie, fonction difficile et exigeante.

Je souhaite également remercier publiquement les très grands efforts fournis par Mme Jocelyne ARNAUD, qui depuis le mois de septembre n'économise pas ses efforts pour assurer à la fois ses fonctions de directrice de greffe du tribunal d'instance, et celle du tribunal de grande instance par intérim.

Nous somme donc impatients de voir arriver du renfort au greffe et nous savons que vous agissez efficacement en ce sens Messieurs les chefs de Cour avec Madame la Directrice du service administratif régional. Nous vous remercions déjà du soutien que vous nous avez apporté en greffiers placés et en vacataires.

Nous savons qu'en tout état de cause le tribunal va souffrir cette année du départ non remplacés de trois fonctionnaires de catégorie C. J'avoue que sans renfort, je ne sais pas comment nous allons faire dans certains services. Madame la présidente et moi avons déjà dû supprimer 3 audiences correctionnelles et 2 audiences de CRPC au premier trimestre pour soulager le greffe à la suite du départ à la retraite la semaine dernière de Mme VAILLANT, greffière de l'instruction et au correctionnel.
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Sur le front des nouveautés juridiques qu'il nous a fallu mettre en œuvre en 2014, elles sont nombreuses malgré les appels, voire les suppliques, pour que ralentisse l'inflation législative et réglementaire. J'ai déjà cité tout à l'heure devant le tribunal de commerce la réforme des procédures collectives, mais il faut ajouter, entre autres :

La loi du 15 août 2014 qui a supprimé le dispositif des peines planchers et adouci le régime d'exécution des peines applicable aux condamnés récidivistes. Elle a également créée une nouvelle peine, la contrainte pénale, qui ne connait pas pour le moment un franc succès puisqu'une seule contrainte pénale a été prononcée à Gap, ce qui est à l'image de ce que l'on constate globalement au niveau national.

La loi du 15 mai 2014 qui a donné de nouveaux droits aux personnes entendues sans contrainte par les enquêteurs, dont celui, depuis le 1er janvier de cette année, d'être assisté par un avocat. Toutefois, dans les Hautes Alpes, le barreau a décidé de ne pas remplir cette nouvelle mission auprès des bénéficiaires de l'aide juridictionnelle, au motif que la rémunération prévue serait insuffisante puisqu'elle s'élève en l'état forfaitairement à 88 euros. A noter que déjà les avocats de ce barreau ne parvenaient pas à assister toutes les personnes qui réclame un avocat lors des gardes à vue, et qu'ils refusent également depuis des mois d'assister les personnes hospitalisées sous contrainte en service psychiatrique, là encore en raison d'une rémunération insuffisante.

J'adresse un nouveau clin d'œil à notre ami PORTALIS et ses mises en garde sur l'utilité des lois et sur leur effectivité.

Petit à petit, mais de plus en plus vite, notre Justice se calque sur les règles anglo-saxonnes. C'est une évolution qui avait débuté depuis longtemps concernant la procédure pénale sous l'influence notamment de la Cour européenne des droits de l'homme et désormais de l'Union Européenne. Il ne faut donc pas s'étonner que cette influence du droit anglo saxon atteigne désormais les professions juridiques et les auxiliaires de justice qui ont manifesté leur mécontentement ces derniers mois face aux différents projets de déréglementation.

* * *

Je souhaite terminer mes propos en vous faisant partager une réflexion qui me semble particulièrement d'actualité. Nous avons tous une ou plusieurs phrases, expressions, formules ou dictons qui habitent nos esprits et nous servent de références plus ou moins profondes dans différents moments de nos vies professionnelles et personnelles. Il y a plusieurs mois, j'avais prévu de vous livrer, à l'occasion de ce discours de rentrée, l'une des formules qui nourrit ma réflexion et mon action depuis plusieurs années. Cette formule personnelle se fonde sur le dicton populaire « la fin ne justifie pas les moyens ».

En réalité, il me semble que la question n'est pas tellement de savoir si la fin justifie ou non les moyens Il me paraît surtout que la finalité espérée est consubstantielle aux moyens que nous utilisons pour tenter d'y parvenir. Ce que je résume par la formule « la fin ne justifie pas les moyens, la fin est dans les moyens ».
 
Il ne s'agit pas d'un simple jeu de mots ou d'un simple exercice pseudo intellectuel. Cette formule, "la fin est dans les moyens", s'est imposée à moi notamment lorsque j'étais en charge au sein du Ministère de la Justice, entre 2006 et 2008, de la lutte contre le terrorisme islamiste et des questions juridiques relatives à l'activité des services de renseignement.
 
En matière de lutte contre le terrorisme, la question est effectivement particulièrement intense. Par exemple, en droit international et national, aucune condamnation judiciaire ne peut se fonder sur des informations obtenues par la torture ou des mauvais traitements. Tel était était le fond du débat lors des procès successifs entre 2006 et 2011 de six Français poursuivis du chef d'association de malfaiteurs terroristes après plusieurs années de détention à Guantanamo au cours desquelles les services de renseignement Français avaient pu obtenir de leur part des informations à charge.

 

Dans la pièce de CAMUS  "les Justes" jouée pour la première fois en 1949, l'auteur explore les contradictions et les déchirements d'un jeune révolutionnaire russe qui décide en 1905 de tuer le Grand Duc, frère du Tsar afin de provoquer la chute du despotisme. Je le cite : "nous tuons pour bâtir un monde où plus jamais personne ne tuera ! Nous acceptons d'être des criminels pour que la Terre se couvre enfin d'innocents". Il parviendra à tuer le Grand Duc et se présentera comme un justicier jusqu'à la potence. La Révolution et le régime qui ont été bâtis sur ce type d'arguments ont-ils atteints les nobles objectifs de l'assassin, ou ont-ils été à l'image des moyens utilisés pour tenter d'y parvenir ?

Plus proches de nos préoccupations locales et quotidiennes : ce sont les règles du code de procédure pénale qui donnent aux enquêteurs et aux magistrats des pouvoirs importants dont la finalité est la recherche de la vérité pour appréhender et juger les auteurs d'infractions.
Mais c'est bien dans le respect absolu de ces règles que nous puisons notre légitimité et notre crédibilité lorsque nous faisons usage de ces pouvoirs.

En matière de lutte contre la délinquance, nous le savons bien, il n'y a pas de fin. C'est un perpétuel combat dans le cadre duquel nous devons faire de notre mieux pour utiliser les moyens juridiques, techniques et humains qui sont mis à notre disposition. Dévoyer ces moyens, c'est s'éloigner de leur finalité, celle de vivre ensemble le plus paisiblement possible dans un Etat de droit.

« La fin ne justifie pas les moyens ; la fin est dans les moyens ».

C'est évidemment également applicable à nos pratiques professionnelles de magistrats, fonctionnaires et auxiliaires de Justice :
Nous voulons favoriser une société pacifiée ? Soyons paisibles ;
Nous voulons que nos décisions soient comprises et respectées, rendons la Justice avec fermeté certes, mais aussi avec délicatesse et pédagogie.

Autre illustration concrète de mes propos : Que restera t'il du fâcheux épisode vécu par notre juridiction le 04 décembre dernier lorsqu'une grande majorité de barreau local, prétendument au nom du droit de grève, a obtenu – par la contrainte – le renvoi de dossiers que le tribunal correctionnel avait pourtant décidé de retenir en se fondant sur la jurisprudence de la Cour de cassation ? Va t'on retenir, les uns et les autres, qu'une partie du barreau est parvenu à ses fins ce jour là, ou bien qu'il a utilisé pour ce faire des moyens illégaux et contraires à sa déontologie ?
La finalité était-elle de faire entendre les spécificités de cette noble profession fondées sur des valeurs aussi fondamentales que la liberté, le secret professionnel et l'indépendance qui étaient au cœur de leur revendication ? Alors pourquoi avoir utilisé des moyens qui sapent l'autorité du tribunal ?

Les auxiliaires de Justice ne font-ils pas partie de ceux qui ont le plus intérêt à voir et à faire respecter les décisions de Justice ?
Qui est sorti grandi de cet épisode regrettable ?

Là encore la fin est dans les moyens.

Lorsque j'avais commencé à rédiger cette partie de mon discours il y a quelques mois, je n'avais évidemment pas prévu que se produiraient entre temps les terribles attentats parisiens qui s'inscrivent, ne l'oublions pas, dans un contexte mondial d'actes terroristes quasi quotidiens, commis au nom de revendications politiques ou idéologiques, le plus souvent d'inspirations prétendument religieuses.

Cette formule "la fin est dans les moyens" prend évidemment une dimension très particulière avec cette tragique et absurde actualité.

Les moyens utilisés par les terroristes sont à l'image des objectifs qu'ils souhaitent atteindre : abolition des libertés, division de la société, élimination de ceux qui ne pensent pas comme eux ou qui n'ont pas les mêmes croyances.

Mais là encore, cette situation nous renvoie à notre propre réaction qui doit évidemment être ferme et sans concession sur les valeurs fondamentales de la République « liberté, égalité, fraternité ». Pour autant, jusqu'où peuvent aller nos démocraties pour se défendre contre le terrorisme si elles veulent précisément rester des démocraties ?

Si, par exemple, la finalité est de garantir la liberté d'expression : jusqu'où les autorités, et notamment les autorités judiciaires, peuvent elles censurer la liberté d'expression de ceux là même qui voudraient l'abolir ?

La loi toute récente du 13 novembre 2014 renforçant la lutte contre le terrorisme est l'une des illustrations de ce débat puisqu'elle a donné de nouveaux outils juridiques redoutables en la matière. Ainsi, le délit d'apologie du terrorisme, puni de 5 ans d'emprisonnement, consiste simplement selon les circulaires de la Chancellerie,  à "présenter ou commenter des actes de terrorisme en portant sur eux un jugement moral favorable" et à le faire publiquement, par exemple via les réseaux sociaux. En outre, il est désormais possible d'avoir recours à la procédure de comparution immédiate en la matière ce qui était interdit auparavant. D'où la vague de condamnations de ces dernières semaines par différents tribunaux correctionnels à l'encontre de personnes qui ont porté publiquement un jugement moral favorable sur les attentats de Paris.

La liberté d'expression, comme toutes les libertés, a des limites. Mais ces limites sont  fixées par la loi et sont appréciées par les juges, en particulier lorsque sont véhiculés des discours injurieux ou haineux. La lutte contre le terrorisme nécessite de faire preuve d'une particulière vigilance et d'une très grande fermeté. Toutefois, il est également nécessaire de trouver un équilibre dans les moyens utilisés pour limiter les excès de la liberté d'expression, afin de ne pas laisser penser que la répression en la matière est à géométrie variable. Prenons garde à faire respecter de manière équitable les libertés individuelles dont les magistrats du siège et du parquet sont les garants en application de l'article 66 de la Constitution.
 
Il me semble avoir compris cela dans le discours de l'actuelle Garde des Sceaux lors d'une réunion à Paris le 16 janvier dernier devant les magistrats référents du parquet en matière de terrorisme. Je la cite :  "Ce serait faire un bien curieux cadeau aux terroristes que de restreindre nos libertés publiques et individuelles" (...)  Vous êtes les garants de l'Etat de droit, si nous l'affaiblissons, nous nous affaiblissons nous-mêmes ». Fin de citation.

Alors, chers collègues, mesdames et messieurs,
Soyons vigilants, mais sans devenir paranoïaques.
Soyons fermes, voire pugnaces, mais sans tomber dans une forme d'hystérie collective.
Soyons réactifs, mais sans précipitation.

Je considère pour ma part, que la Justice est une question d'équilibre afin de permettre à chacun de vivre paisiblement en société, dans le respect de tous, ce qui ne doit pas être évidemment confondu avec de la tiédeur ou du renoncement.

Ni tiédeur, ni renoncement, c'est ce que je nous souhaite à tous pour 2015.

*   *   *

Madame le Président, j’ai l’honneur de requérir qu’il vous plaise de déclarer close l’année judiciaire 2014, ouverte l’année judiciaire 2015, et de dire que du tout il sera dressé procès-verbal conformément à la loi.

   Raphael BALLAND
   Procureur de la République près le TGI de GAP