Publié par Jean Eymar le ven, 24/01/2020 - 09:10

Un nouveau week-end de coupe du monde de ski nous attend avec en particulier en Autriche la mythique descente de Kitzbühel et Nils Allègre de Serre Chevalier marchera sur les pas de Jean-Claude Killy et surtout de Luc Alphand en participant au super G et à la descente.
Il y a 25 ans en effet, Luc Alphand remportait de main de maître cette fameuse descente de Kitzbühel. Mieux il faisait un doublé en remportant les deux descentes consécutives qui y étaient organisées! A re voir ICI
Le début de 3 années exceptionnelles pour" Lucho", l'enfant de la Guisane et de la Vallouise. La fin d'une succession de déveines, de blessures qui lui avait valu le surnom de «Chat noir» au sein de l'équipe de France.
En 3 saisons, il gravera ensuite pour toujours son nom au firmament du ski français. Jugez plutôt:
- Vainqueur du classement général en 1997.
- Vainqueur du classement de descente en 1995, 1996 et 1997.
- Vainqueur du classement de super-G en 1997.
- 12 succès en course (10 en descente, 2 en super-G).
- 23 Podiums
1997 sera la dernière et grande année de sa carrière de skieur, puisqu'il réussit à remporter le « gros globe de cristal », le classement général de la coupe du monde toutes disciplines confondues (ce que, côté français, seul Jean-Claude Killy avait fait avant lui, en 1967) en ne concourant que dans les deux épreuves de vitesse. Il lui aura par conséquent fallu s'imposer quatre fois en descente et deux fois en super-G et ne pas quitter les podiums durant tout l'hiver pour devancer les skieurs polyvalents capables de marquer des points dans toutes les disciplines (c'est-à-dire disputant également, à l'inverse du champion de Serre Chevalier, le slalom, le géant et le combiné). L'exploit consistant à remporter le gros globe en ne disputant que les deux épreuves de vitesse reste unique dans l'histoire de la coupe du monde de ski alpin.
Il ne connaît qu'un seul échec durant cet hiver couronné de succès : le 8 février, une faute de carre met rapidement un terme à sa descente sur la piste Banchetta, lors des championnats du monde à Sestrières juste à côté de Brainçon, où il s'élançait en grand favori.
À l'issue de cette saison 1997, sacré « champion des champions » français par le journal L'Équipe en fin d'année, Luc Alphand annonce qu'il met un terme à sa carrière de skieur à 32 ans,
Voici ce que Libération écrivait à l'époque, le 16 janvier 1995:
Ski. Luc Alphand, le magistral coup double d'un éternel espoir
Inattendu, sans doute. Historique, certainement. Samedi fut jour faste pour la France du ski. Tandis qu'à Garmisch, Florence Masnada remporte le super G, à Kitzbühel, Luc Alphand se paye le luxe de remporter à trois heures d'intervalle les deux descentes un peu raccourcies disputées sur la légendaire piste autrichienne.
Il est au pied de «la Streif», mais encore dans les nuages à se demander s'il pourra toucher terre. Pas le temps de réaliser, tant la valse à mille temps des questions et des caméras, des tapes dans le dos et des ovations l'engouffre dans son tourbillon. Luc Alphand, peu avant 13h30 en ce samedi, n'a pas vraiment le loisir de savourer le coup double en fin chasseur qu'il est. Il vient pourtant de réaliser l'un des plus beaux exploits de l'histoire du ski. Enfin. A bientôt 30 ans, celui que l'on a longtemps considéré comme l'éternel espoir du ski français fait main basse sur la plus prestigieuse des épreuves de Coupe du monde, disputée deux fois dans la journée, et empoche, cela ne fait pas de mal, l'équivalent de 300.000 de nos francs.
La confirmation d'un bon début de saison Depuis le début de saison, il y a des signes qui ne trompent pas. C'est d'abord la première descente de Val-d'Isère que Luc Alphand croit avoir gagné avant qu'un jeunot autrichien sorti des profondeurs ne le prive d'un premier succès en Coupe du monde. Il termine second, sans désappointement. «Je ne peux pas me plaindre disait-il alors, c'est la meilleure place de ma carrière.» Puis vient, vendredi, cet entraînement dans des conditions difficiles où il déclare «n'avoir pas tout donné», mais qui le propulse en tête des descendeurs. Et c'est enfin, samedi au matin, ce soleil au firmament après les jours de tourmente qui semble lui adresser un dernier signe.
Il part du Steilhang, numéro 23, se moque que le parcours soit tronqué, «même s'il manque vingt secondes de course, ça reste la descente de Kitzbühel», trouve sans difficulté les meilleures trajectoires et glisse comme sur de l'huile. «Depuis Val-d'Isère, je skie vite et bien, sans forcer ni me poser de questions.» Après moins d'une minute et cinquante secondes de course, le coureur de Serre-Chevalier trouve la confirmation de ses bonnes dispositions dans le classement affiché. Il distance Patrick Ortlieb et la bande de «casques à pointe», comme il les avait surnommés lorsque, dans la seconde descente de Val-d'Isère, les Autrichiens avaient remporté les quatre premières places. «Ils sont venus faire le championnat d'Autriche chez nous, on ira disputer le championnat de France chez eux», avait alors prédit Jean-Luc Crétier, également placé samedi (7e et 10e). Et la preuve par Luc, d'entrée.
Pas vraiment le temps de s'arrêter pourtant après le premier parcours, ni d'extérioriser cette première victoire. Simplement se retrouver au plus vite seul dans un ski-room pour se remettre les idées en place: deux heures plus tard débute le second round. «J'étais tellement excité d'avoir gagné la première descente que j'hésitais presque à prendre le départ de la seconde, je pensais être incapable de me reconcentrer. Et comme je n'avais jamais gagné auparavant, je ne savais pas comment me comporter», confiera plus tard le double vainqueur. «Mémé», son père, passe quelques instants auprès de lui. «On s'entend très bien, mais on ne se parle jamais beaucoup, c'est un homme de la nature qui, par exemple, n'a jamais regardé mon bouquin de notes quand j'allais à l'école. Là, j'ai vu que ses yeux brillaient plus que d'habitude.»
Alphand fils retourne pourtant au turbin. On se dit que c'est impossible, que jamais cela ne se reproduira. La récidive n'en est que plus somptueuse. Il part cette fois avec le dossard 14, juste après Ortlieb-le-rival, skie encore à merveille et s'impose en nouveau maître de la spécialité. Un geste rageur du bras dans l'aire d'arrivée, un brin d'attente avant la certitude de l'exploit en passe de devenir légendaire.
«J'ai l'impression de n'avoir disputé qu'une manche»
Derrière lui, les bien classés de la première séance ont un peu craqué et permettent à des concurrents partis plus tard de s'immiscer dans les classements, ou à des éliminés de la descente initiale de se refaire une santé. Ainsi l'Italien Vitalini, qu'une chute lors de la première course a précipité par-delà les barrières dans le devers de l'Hausberg: sans hésiter, il repart pour un tour et termine cinquième.
Lucho peut alors savourer pleinement l'événement. «Je m'étais dit qu'il ne fallait pas que je pousse le bouchon trop loin, que je prenne trop de risques. C'est ce que j'ai fait, et ça a marché. Le seul problème, c'est que je me demande si j'ai bien gagné deux courses, j'ai l'impression de n'en avoir disputer qu'une, tellement elles étaient rapprochées.»
On lui demande évidemment des explications, le pourquoi de cette éclosion somme toute tardive. Il répète à l'envi que c'est la première saison où il ne se blesse pas. Son corps ferait en effet les beaux jours de l'Académie de médecine. Pas une partie qui n'ait souffert au fil des années. «J'avais l'impression d'être devenu un spécialiste en traumatologie», dit-il. La dernière blessure en date, c'est à Whistler Mountain, aux Etats-Unis en février 1993. A cause d'une sale bosse artificielle mal dessinée. Le croisé antérieur du genou lâche, blessure classique signifiant la fin de l'espoir et le retour sur le billard.
Passent alors les moments de doute, sur le sport, sur la carrière, sur l'après-ski. Et puis, progressivement, l'aplomb revient: «Trop con d'en rester là, à 27 ans.» Seulement, depuis, la perception des choses a changé, la témérité de l'enfance et les risques pris depuis l'adolescence sont recouverts des vertus de l'expérience et de la tempérance: «Maintenant je prends les risques au bon moment. Avant, j'en prenais à l'entraînement. C'est fini, ce n'est pas à l'entraînement que la course se gagne.» S'enchaînent les bonnes surprises. Une belle préparation estivale, quelques kilos de pris parce qu'on s'est aperçu que le poids n'était pas l'ennemi des descendeurs et les résultats espérés déboulent. Troisième au Super G de Tignes, deuxième à Val-d'Isère et double succès autrichien.
Le «chat noir» repasse sa déveine
Etrange retournement de situation dans ce milieu où les superstitions et les gris-gris ne sont jamais loin. Depuis ce début de saison si réussi, on le surnomme «le Chat noir», car, aujourd'hui, il déverse la déveine des années passées sur ses camarades de chambre. Nicolas Burtin d'abord, puis Adrien Duvillard se sont blessés méchamment. Tous deux s'étaient succédé pour partager la chambre de Lucho. Désormais, personne ne veut dormir.
Evidement, à quinze jours du début des Championnats du monde de Sierra Nevada, on presse l'homme du jour de questions sur ses espoirs, sur les podiums possibles, mais Luc élude les pronostics. «Je vis désormais au jour le jour, le prochain rendez-vous, c'est Wengen, le week-end prochain. Ensuite on verra.» De même pour la Coupe du monde de descente, dont il a pris la tête. Pas question de tirer des «planches» sur la comète. «De toutes les grandes compétitions mondiales que j'ai disputées, il ne me reste rien», dit-il. Hormis quelques souvenirs désagréables, un podium qui s'échappe pour un centième, des courses ratées. Alors, voilà que «les victoires ici effacent tout ça» et gravent sur le marbre de l'histoire le nom de Luc Alphand.