Publié par Jean Eymar le sam, 18/03/2023 - 14:54

C'est un article des plus intéressants (et que nous vous conseillons) de l'hebdomadaire Le Point dans son édition de ce jeudi 16 mars. L'enquête est intitulée "Le vrai scandale de l'eau" et dénonce, sur sa une, "face au défi climatique, ces idéologues et zadistes qui bloquent les solutions". L'article explique comment "La France va devoir s’adapter au manque d’eau mais semble dépassée, entre blocages administratifs et travail de sape des idéologues".
Problème, pour illustrer le sujet sur la une et sur la double page d'ouverture, ce sont des photos du lac de Serre-Ponçon vide cet hiver qui ont été choisies : Une erreur qui peut se comprendre au regard de la spécificité de la gestion des retenues de montagne.
En effet, et comme les habitants et les exploitants le savent parfaitement depuis la création du lac en 1960, c'est complètement normal, tout à fait habituel et même presque un rituel de chaque saison.
Ainsi donc la une de l’hebdomadaire montre en photo la Baie Saint-Michel du lac de Serre-Ponçon ainsi légendée: " Le lac de Serre-Ponçon, le 4 mars 2023, 17 mètres au dessous de sa côte optimale de remplissage"
En page 44, une photo lunaire de Serre-Ponçon est également présentée ainsi: "Alarmant Une épave au bord du lac artificiel de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes), le 4 mars , 17 mètres au dessous de sa côte optimale de remplissage"
Sauf que c'est le cas...tous les hivers depuis plus de 60 ans.
En effet le lac de Serre-Ponçon est volontairement baissé chaque hiver car l'eau permet de produire de l'électricité quand il fait froid mais il est aussi baissé volontairement par EDF pour pouvoir au printemps emmagasiner les quantités d'eau impressionnantes qui vont arriver avec la fonte des neiges et il y en aura d'ailleurs pas mal cette année. Cumulée aux pluies de printemps, il s'agit aussi de réguler le cours de la Durance et d'éviter les inondations qui faisaient pendant des siècles de la Durance le 3ème fléau de la Provence. Le lac se rempli donc au printemps pour atteindre sa côte maximale au 1er juillet
A l'évidence si l'image illustre bien le propos de l'article sur la forme, il est entièrement dans l'erreur sur le fond d'autant plus que, cette année, les voyants sont au vert. Il y a beaucoup de neige en réserve, et si les pluies de printemps ne manquent pas, il sera bien plein cette été...contrairement à l'été dernier où son très faible niveau a crée un véritable problème pour l'exploitation touristique.
Les enjeux autour de la retenue de Serre-Ponçon
L'inquiétude existe pour autant donc bien pour la garantie d'avoir un lac plein chaque été dans les années à venir: L'exploitant (EDF) à d'ailleurs revu en 2022 ses engagements à la baisse : La convention signée avec EDF le 25 juin 2022 prévoit en effet que dans l'avenir l'occurrence de ne pas pouvoir tenir le lac plein l'été (côte moyenne de 780) serait de 2 fois tout les 10 ans plutôt qu'une. Un plan d'investissement sur 10 ans pour s'adapter à ces probabilités d'un montant de 10 à 20 millions d'euros a aussi été annoncé.
Il est utile de préciser aussi que le problème n'est pas de remplir le lac: Il s'agit d'éviter de le vider au regard de l'usage de l'eau et de sa vocation puisque la loi de 1955 indique que le barrage est fait pour maîtriser la Durance, l'arrosage en Provence et la production hydroélectrique...
Un chantier lourd et essentiel va devoir être mis en œuvre sur ce sujet de la gestion de l'eau et le juste équilibre entre le tourisme et le monde agricole qui l'utilise. La question de revoir cette loi de 1955 semble se poser pour y intégrer la vocation touristique du lac car après tout est-il vraiment normal qu'un territoire qui cumule beaucoup de difficultés liées à la montagne donne gratuitement sa principale richesse? On avait même vu à une époque cette eau vendue et transportée par container à Barcelone... Ce cadre légal doit forcément être revu puisque cette loi d'origine contraint les montagnards à s'en remettre au bon vouloir EDF heureusement détenue, et bientôt à 100% par L’État. Mais qu'en sera t'il après 2051 lorsqu’un nouveau concessionnaire sera choisi ? Aura t-il la même bonne volonté sachant que la loi à ce stade ne le contraint pas à prendre en compte l'activité touristique d'une poignée de montagnards face aux enjeux énergétiques, agricoles et urbains de la région? Par anticipation, le département des Hautes-Alpes envisage d'ailleurs de prendre la gestion de la retenue en concession aux côtés d'EDF. Inscrire la vocation touristique du lac dans la loi devrait peut-être devenir une priorité pour l'économie mais aussi pour les autres conséquences comme les vents de sable autour d'Embrun. Avant cela une question pragmatique se pose: Comment amener les arrosants de Provence à mettre en place un arrosage plus économe en eau? Vaste chantier d'autant que le monde agricole ne se gène pas de rappeler en substance que nourrir les gens est plus important que de faire du bateau ou se baigner l'été...
Éviter de voir Serre-Ponçon devenir l'emblème du problème de l'eau et du changement climatique
Voilà donc le lac de Serre-Ponçon qui devient un peu, comme on le voit dans cet article, l'incarnation française du problème et des enjeux autour de l'eau, une conséquence de l'été 2022 au cours duquel ces images de lac plus bas qu'à la normale ont fait le tour des médias et qui une fois entrées dans les banques d'image ressortent régulièrement dés qu'il s'agit de parler du sujet de l'eau... ll ne s'agit d’ailleurs pas d'en vouloir à ceux qui ont réalisé cette enquête: Serre-Ponçon est devenu depuis l'été dernier un symbole du problème sans même qu'on se pose la question, d'où cette erreur.
Problème: Quid des conséquences sur notre image et surtout notre économie? Pas sûr que ces photos incitent les gens à choisir le plus haut département de France pour leurs vacances estivales...
L'enjeu est de taille: Serre-Ponçon représente 40% de l'économie touristique du département des Hautes-Alpes.
Il semble urgent de faire œuvre de pédagogie dans les médias et de communiquer efficacement sur le bijou que constitue Serre-Ponçon, cette mer à la montagne.
Jean-Marc Passeron