Publié par Jean Eymar le mar, 14/11/2023 - 09:32

Dans cette si belle commune du Lavandou dans le Var, les cérémonies traditionnelles et patriotiques ne se déroulent pas vraiment comme ailleurs....
Et on le doit au maire de la commune Gil Bernardi qui met chaque année un point d'honneur chaque année à écrire et prononcer un discours très travaillé, très renseigné qui mériterait d'avoir un bien plus large écho.
Et cette année, au regard du contexte mondial, c'est une lecture lucide mais bien inquiétante du monde dans lequel on vit qu'il a présenté en présence des élus, des autorités civiles et militaires, des anciens combattants et associations patriotiques ou des enfants, cette année des quartiers de Cavalière et Saint-Clair: "Notre monde craque, notre monde n’a jamais été aussi dangereux".
Une manière de se rappeler que "du passé répond l'avenir" comme on peut le lire sur les portes d'entrée de la vieille ville de Briançon...
Prenez le temps de lire le discours ci-dessous, celui du 105ème anniversaire de l’Armistice du 11 novembre 1918 : Voir ICI
Discours du 11 novembre 2023 Au moment où nous commémorons l’Armistice, les images de nos manuels scolaires reviennent à nos mémoires. Celles du train du Maréchal Foch, arrêté dans la clairière de Rethondes, où fut signé l’Armistice, en ce 11 novembre 1918, et où il fut mis fin aux terribles combats qui avaient décimé des millions de soldats, quatre ans durant. L’arrêt des combats, de l’hécatombe gigantesque, de la grande saignée symbolisée par le « grand troupeau » de Jean Giono et sa longue trainée de douleur et de mort, dans les lamentations et les larmes de tant de familles. L’arrêt des combats, pour une durée de 36 jours, plusieurs fois reconduite ; et la capitulation de l’envahisseur, certes, mais la paix restait à conclure, qui ne fut signée que le 28 juin 1919. Cet instant de rassemblement devant notre monument aux morts devrait être non seulement un temps d’hommage et de recueillement à la mémoire de millions de tués, de disparus, d’estropiés, de blessés lors du 1er conflit mondial, mais également un temps de joie après la victoire des Armées Françaises et de ses Alliés. Car l’Armistice consacre une grande, une immense victoire de la France, après tant de batailles aux résultats indécis, obtenue grâce au courage et au sacrifice de nos vaillants soldats, et surtout la fin des horreurs et de l’épouvante, le soulagement que l’immense boucherie ait enfin cessé.
En réalité, cette date sacrée de notre histoire, mais également de l’histoire de l’Humanité, dont les noms de nos valeureux combattants tombés au champ d’honneur sont gravés sur cette stèle commémorative, qui rappelle la saignée à blanc de chaque village de France, ne peut engendrer de joie véritable, tant l’amertume reste forte. Au regard du massacre qu’elle symbolise, et aussi de l’histoire moderne de notre Nation.
Et, pour nous tous, le moment de l’inclinaison sur les tombes des disparus et devant les familles frappées par le malheur malgré le succès de tant de courage déployé, ne parviennent pas à dissiper le sentiment d’immense gâchis, de folle tragédie pour cette Grande Guerre qui devait-être la « der des der », et qui ne le fût pas.
Temps de joie, stigmatisé par les carillons de toutes les églises de France, à l’unisson, en ce 11 novembre 1918, d’embrassades et de défilés sous les drapeaux de la Victoire, qui fut plutôt celui du soulagement de l’arrêt des combats.
Hier, face aux champs entiers recouverts de croix de bois, autour de Verdun et de Douaumont. Aujourd’hui, car nous savons que cet Armistice fut de courte durée au regard du second conflit mondial qui allait, vingt ans plus tard, endeuiller de nouveau notre pays.
Et que dire des menaces nouvelles qui pèsent sur les épaules et les esprits des générations actuelles, que le drame survenu voilà 105 ans était censé empêcher à tout jamais !...
Des espoirs trahis, des traités déchirés, des organisations Internationales - de la SDN à l’ONU - incapables d’endiguer la folie des hommes, des amertumes et l’esprit de revanche, l’instinct de mort, face à tous ceux qui ont sacrifié leur jeune vie, et versé leur sang à plein bouillon, pour un idéal de Paix et de Fraternité humaine ; alors que lapaix, justement, la paix dans le monde est de nouveau menacée, comme elle ne l’a probablement jamais été… En ce jour de recueillement et de prière, mais qui devrait- être aussi un jour de liesse… Alors que le Président américain nous annonce que notre monde « est arrivé à un moment charnière de l’humanité » … Quel enseignement le monde moderne a-t-il tiré de tant de malheur et de sang versé, de courage et de sacrifice, de l’avertissement de Paul Valéry : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » - 1919 – « La crise de l’esprit ».
Comment les regarder en face, tous ceux-là dont le port altier et la fière moustache des photos sépia dorment dans les armoires des familles comme de précieux trésors ; eux qui croyaient en un monde de Fraternité et de paix éternelle, que l’idéal patriotique et l’espoir portaient par vagues incessantes à sortir des tranchées, fauchés comme des champs de blé par la mitraille, à l’assaut des lignes adverses, mais aussi animés par leur foi en un monde meilleur… Alors que la situation n’a jamais été aussi
dangereuse pour la paix dans le monde, que les plaques tectoniques de la géopolitique se sont déplacées pour s’entrechoquer, que l’axe du monde moderne, après l’équilibre
de la terreur et l’espoir des murs qui s’effondrent, est en train de basculer !
Qu’ont appris les Démocraties empreintes d’humanisme, de cet engagement de nos « piou pious », et des désastres humains, économiques, sociétaux engendrés par deux conflits mondiaux et des guerres héritées de la décolonisation ou des idéologues frontalement opposés, alors que partout les peuples se déchirent, les États s’affrontent, les armements et les troupes se déploient, les guerres reprennent ou s’annoncent. Que l’on incite les États européens à s’engager dans des économies de guerre, que l’ère des tyrans bellicistes s’affirme, d’Ebrahim Raïssi à Vladimir Poutine, de Kim Jong-un à Xi Jinping, de Bachar El Assad à Ismaïl Haniyeh…
La guerre des tranchées et celle des forces de l’Axe ne seraient-elles que de pâles esquisses, reléguées au fin fond de l’Histoire, au regard de la Guerre des Mondes que l’on sent bouillonner dans le creuset du Malin ? Menaces nucléaires et intimidations proférées par le despote de la Corée du Nord, lancement de missiles balistiques, comme autant d’intimidations, sur fond d’alliances guerrières entre Pyongyang et Moscou. La guerre contre l’Occident est ouverte. Poursuite de la guerre Russo/Ukrainienne depuis un an et demi, alors que le monde « libre » est resté inopérant lors de l’invasion de la Crimée en 2014 ; après les mises au pas de la Géorgie et de la Tchétchénie ; où l’Europe est entraînée dans une dangereuse escalade belliciste. Et voilà que le Kremlin sort de l’accord d’interdiction des expérimentations des armes nucléaires. De celui de réduction des armements conventionnels en Europe… et se moque des « sanctions ». L’agresseur n’est-il pas un membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU ?Provocations chinoises contre Taïwan et menaces d’embrasement dans le pacifique, sur fond de guerre économique avec les Etats-Unis d’Amérique. Cet océan n’est plus si « pacifique » et le géant économique chinois ne cache plus ses convergences avec la Russie contre l’entier occident. Entre tyrans, on se comprend !
Inquiétudes sur l’armement de destruction massive de l’Iran, qui rêve d’en découdre avec les Émirats du Golfe Persique et le Royaume d’Arabie Saoudite … Comme d’activerles milices Chiites du Hezbollah au sud Liban, après avoir armé celles du Fatah . Guerre ouverte d’Israël à Gaza, après les massacres des Kibboutz, le 7 octobre ; et menace d’embrasement du monde Arabe, suite à l’invasion de l’enclave Palestinienne, à la recherche des otages et des milices qui les détiennent.
Trainée de poudre islamique au Sahel, où le Niger rejoint les États anti-Français, après le Mali et le Burkina Faso. Guerres civiles au Soudan, au Congo… Au Yémen… N’en jetez plus, la coupe est pleine !
Renforcement de l’OTAN avec l’adhésion de la Suède et de la Finlande, et par-dessus tout cela, la menace terroriste que l’on croyait éteinte avec l’éradication de Daesh -l’État Islamique - La Syrie dont les plaies mal cicatrisées se rouvrent, le Kurdistan de nouveau menacé, le Haut Karabakh enlevé par l'Azerbaïdjan à l’Arménie, l’antisémitisme qui court les rues des capitales européennes, l’hiver du monde Arabe après son printemps aux bourgeons déçus. Notre monde craque, notre monde n’a jamais été aussi dangereux. Aussi fou jusqu’à se poser tout naturellement, tout lucidement la question de sa propre survie, avec un arsenal terrifiant d’armes de destruction massive capables d’anéantir une bonne partie de la population du globe terrestre. Ce « nucléaire » voué à ne jamais servir… Mais dont les nouveaux « Docteurs Folamour » trépignent de faire usage. Réveil difficile pour les Démocraties assoupies, qui avaient thésaurisé sur les leçons d’une guerre sans réel vainqueur, sur l’Armistice et d’un conflit gagné, dans un continent en ruines, puis d’un autre tout aussi monstrueux, sans nous préoccuper des nouvelles formes de conflits, asymétriques, ou anticiper sur les nouveaux blocs de forces du mal que l’on croyait inconciliables.
Et Paul Valéry, encore, de se rappeler à nous dans sa prophétie : « Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes
et tous leurs engins ; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées ; avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques. Nous savions bien que toute la terre apparente est faite de cendres, que la cendre signifie quelque chose.
Nous apercevions à travers l’épaisseur de l’histoire, les fantômes d’immenses navires qui furent chargés de richesse et d’esprit ». Vision funeste, mais oh combien prémonitoire… En ce 11 novembre 2023, faut-il nous résigner à l’inéluctable de la guerre, encore et toujours, mais en plus grand, comme un avatar du cheminement de l’humanité, ou bien continuer à croire en l’homme, dans ce qu’il a de grand et de bon, en tirant les leçons du passé ? Pouvons-nous vraiment nous passer d’esprit ?
L’importance de notre rassemblement annuel devant notre monument aux morts, dans la fidélité du souvenir et la gratitude envers nos aïeux est déjà une réponse. Ce n’est pas tant la terreur que ne se reproduisent les horreurs, les souffrances subies par nos poilus qui doit guider nos pas et forger nos espérances ; mais plutôt la foi que nous portons en l’homme. Cet espoir indissociable des jeunes générations qui participent à
nos commémorations, et qui devront affronter les défis du XXIème siècle qu’elles embrassent avec – et c’est bien normal – une belle insouciance. Pouvons-nous, en
conscience, les priver d’espoir ? En les regardant dans les yeux ! Rien, sinon la compassion et la reconnaissance, ne doit nous orienter à exhumer de la conscience collective, les abominations des carnages passés pour les ériger, dans larelecture de Maurice Genevoix , en épouvantails. Nous savons, à présent, que cela ne fonctionne pas. Pas plus que la dissuasion d’arsenaux destructeurs toujours plus perfectionnés. Seule la foi peut nous sauver. Une foi en l’Homme qui doit nous aider à sortir avec courage des tranchées de l’esprit étroit. Celles de la résignation ou du confort, pourlivrer les combats qui s’imposent à nous. Lorsqu’il est encore temps. Lorsque le brasier peut-être encore contenu.
Sortir des tranchées intellectuelles et morales, dans une guerre de positions aux lignes bien fluctuantes. A notre tour, avec vaillance. Dans ce monde que l’on dit global, l’heure n’est pas aux frilosités qui ne sont que conforts illusoires. Au contraire, renouons avec le génie de notre Nation, qui nous confère un rôle de phare des civilisations.
Sortons de nos craintes, de nos certitudes et de nos étroitesses, pour inventer un monde d’ardeur plutôt que d’indifférence ; et d’un pacifisme réaliste qui nous conduise à faire front aux menaces lorsqu’elles se manifestent, plutôt que d’en différer l’inflation du prix à payer. Alors, soyons impitoyables avec les porteurs de haine.
Car nous serons comptables de nos reculades, comme de nos dépassements, devant nos Aînés, comme devant nos enfants. Soyons capables d’un idéal.
Alors, ceux de la Grande Guerre, confrontés aux souffrances et aux privations, à la boue et au sang, aux marmitages des bois des corbeaux, aux mitrailleuses du Chemin des Dames, aux gaz d’Ypres, aux corps à corps de la Marne ou aux canonnades des Dardanelles ne se seront pas inclinés inutilement. Alors tous ceux-là seront fiers de nous, tout autant que nous sommes fiers d’eux, d’avoir essayé. Essayé la paix. Vive la mémoire de nos glorieux soldats, et Vive la France.
Gil Bernardi
Maire du Lavandou