PODCAST/L'AVIS D!CI : "Prisonniers des algorithmes des plateformes numériques". Serge Moro

Tous les matins à 9h30, Annie Borgia accueille un chroniqueur qui nous donne son avis, son humeur, son coup de coeur ou son coup de gueule.

Ce jeudi, Serge Moro partage avec nous un coup de coeur littéraire avec le livre de Philippe Besson "Paris-Briançon", un roman dont l'intrigue se déroule dans le train de nuit au départ de la gare d’Austerlitz

"Paris Briançon" de Philippe Besson aux Éditions Julliard sorti le 6 janvier 2022

Retrouvez sa chronique ici.

Je voulais vous faire partager un coup de cœur.

Ceux qui me connaissent le savent : j’aime lire, j’aime les livres, j’aime me plonger dans un récit, fureter dans une librairie, ouvrir quelques pages, choisir un ouvrage comme on cueille un joli fruit.

Et il m’arrive de découvrir une pépite.

Je voulais vous parler aujourd’hui du dernier livre de Philippe Besson, Paris Briançon. 

D’abord parce que les hauts alpins vont s’y retrouver. 

Il parle de nous, il parle de cette expérience que beaucoup d’entre nous ont vécus, en prenant ce train de nuit.

De retour de Paris, l’attente à la Gare d’Austerlitz, la montée dans le wagon, la découverte des autres passagers, les bonnes ou mauvaises surprises, le bruit des rames sur les voies, la voie du contrôleur aux arrêts dans le creux de la nuit…. 

Tout sonne juste, et à n’en pas douter, Philippe Besson a pris ce train de nuit pour en raconter ainsi la vraie saveur.

Et il y a les anecdotes que l’on ne peut inventer, l’attente à Valence, l’arrêt à Veynes, le militaire du 4ème régiment de chasseurs qui descend à Gap, tout comme le patron du grand café de la place Jean Marcellin à Gap.  

On s’y croirait.

L’histoire est très bien servie par un style direct, sans fioriture, une écriture discrète qui dit sans se montrer, qui s’efface derrière les personnages pour mieux les incarner.

De quoi parle ce beau roman, juste assez court pour être vite lu par le plus grand nombre :

Voilà le pitch : le temps d'une nuit à bord du train-couchettes Paris Briançon, une dizaine de passagers, qui n'auraient jamais dû se rencontrer dans la vie quotidienne, tant leurs parcours de vie sont différents, sont « obligés »  de se côtoyer dans l’étroitesse des couloirs et des compartiments. Alors pour rompre le silence, et faire que la nuit soit plus douce, ils font connaissance. 
C’est un roman à suspense, car dès le départ, Philippe Besson nous dit qu’il va se passer un drame. 
C’est aussi captivant qu'émouvant, cela dit l'importance de l'instant et la fragilité de nos vies.
Ce qui m’intéresse au plus haut point c’est que rien ne relie les passagers montés à bord du train de nuit no 5789. 
Pourtant, ils sont une dizaine à nouer des liens, laissant l'intimité et la confiance naître, les mots s'échanger, et les secrets aussi. 
C’est délicat, c’est juste.
Paris-Briançon célèbre le miracle des rencontres fortuites, et la grâce des instants suspendus.
Des instants qui enrichissent, qui dévoilent, ou des vérités peuvent enfin se dire.
Le Paris Briançon, le train de nuit, c’est aussi l’antithèse des Réseaux Sociaux.

Avec cette dérive furieuse du débat public.

Plus personne n’écoute, tout le monde s’exprime sur tout sans approfondir, personne ne change d’avis, les débats sont stériles et surtout tout le monde s’excite et s’insulte... 

Et il faut le savoir, quand nous sommes sur les réseaux, nous sommes prisonniers des algorithmes des plateformes numériques. 

D’abord, il y a la mise en avant des contenus les plus « engagés », suscitant le plus de “like” et qui sont de fait les plus radicaux. 

Ensuite c’est la présentation « systémisé » pour l’utilisateur de liens vers des personnes et des sites adaptés à ses goûts. 

C’est une logique publicitaire qui, appliquée à l’opinion, revient à faire dialoguer les internautes avec des personnes partageant leurs avis. 

On reste entre soi !

Ils se créent ainsi des “bulles de filtres”, des espaces fermés où l’on se radicalise sans jamais échanger avec des personnes d’avis différents. 

Et les plateformes refusent toute intrusion dans la fabrique de leurs algorithmes. 

Avant-hier, mardi, le sociologue Gérald Bronner a remis à l’Élysée un rapport sur la prévention des messages complotistes et haineux sur internet.

Espérons que ce rapport ne finira comme tant d’autres en pile sur une étagère.

Et d’ici là on peut toujours prendre le train de nuit pour rencontrer et parler à des vrais gens, des gens différents de nous. 

Et c’est tellement bien !

 

 

paris briançon
Philippe Besson